Cette page raconte l'histoire du magasin d'horlogerie "Georges Lemoine" qui est devenu par la volonté de sa fille, Madame Dubernet, le Musée Horloger de Lorris. C'est d'un recueil écrit par sa fille que sont tirées ces lignes.
Le lieu
Nous sommes à Lorris, dans les années quarante, chef-lieu de canton du Gâtinais, la ville comptait alors 5000 habitants dispersés pour la plus part dans les fermes des environs.
Il n'y avait pratiquement pas de voiture automobile, on circulait le plus souvent à bicyclette. On attelait la carriole pour venir au marché du jeudi vendre les lapins et les volailles et faire "en ville" les achats indispensables. Il était très important de pouvoir se fournir sur place car les travaux des champs n'attendent pas.
Aller jusqu'à Montargis distant de 25 kms était alors une grosse affaire et le client qui s'y risquait était perdu pour le commerce local.
L'horloger se devait d'être polyvalent. Quand une montre était vraiment irréparable (soit qu'elle vienne du trisaïeul soit qu’elle soit tombée à l'eau) il devait pouvoir la remplacer. Comme les jolies montres étaient des cadeaux de valeur le plus souvent en or, mon père vendait aussi tout ce qui se faisait en or ou en argent. Comme le précise le papier à lettre, il vendait aussi du matériel d'optique et de photographie, de ce fait il participait indirectement à la vie de chacun de ses clients. Alors raconter la vie du ménage revient à faire une radioscopie de la vie du village dans ces années-là, d'autant plus que le magasin comprenait deux vitrines, la seconde était réservée à ma mère qui, elle, s'occupait des chapeaux et des voiles de mariées"
Horlogerie
J'ai quitté l'école l’année de mon certificat d'études mais je ne l'ai pas passé car ce jour là j'avais une angine ... Il n'était pas question de retourner en classe l'année d'après vu que j'avais onze ans, l'âge de l'apprentissage. J'ai d'abord été placé rue de Châtillon dans le quatorzième arrondissement à Paris chez mon cousin Camille qui était horloger. Personnellement j'aurais préféré la petite mécanique mais il n'était pas question de protester, le cousin était horloger, j'ai appris l'horlogerie. Par la suite, après la guerre j'ai trouvé une place chez un patron de Levallois, dans la banlieue parisienne et j'y suis resté vingt ans. Puis il a vendu son fond pour se retirer à la campagne ; je l'aurais repris volontiers mais il était trop cher pour ma bourse et c'est à Lorris, après bien des recherches que j'ai trouvé quelque chose dans mes possibilités. Les horlogers sont des gagne-petit au point que le plat de pommes de terre cuites à l'eau et que l'on mange avec du beurre s'appelle chez nous des "poulets d'horlogers" !
Je savais réparer toutes les montres et le cas échéant je pouvais faire moi-même les pièces manquantes. Les montres dont certaines étaient en or de différentes couleurs coûtaient très cher - le prix de plusieurs paires de poulets. C'était, dans ces années de crise économique, un achat très important.
A cette époque un ouvrier gagnait par mois de 800 à 1000 francs. Un serrurier était payé 6 à 7 francs de l'heure et un tourneur en usine 11 à 12 francs. Une voiture coûtait dans les 30 000 francs. un kilo de beurre 12 francs.
Les montres étaient prévues pour durer toute une vie et elles se passaient parfois de père en fils. Sinon c'était le premier gros cadeau, celui qu'on offrait au garçon pour sa communion ou son certificat d'études. C'était souvent le premier objet qui lui appartenait en propre.
Les anciennes montres attachées à une chaîne et qu'on rangeait dans la poche du gilet, s'appelaient des "oignons" (à cause de leur forme) et la chaîne était une "léontine", puis la modernité venant on a offert des montres bracelets.
Bijouterie - Orfevrerie
La vie s'articulait alors autour de quelques dates marquées par des cadeaux rituels. Après la montre du certificat d'études, venaient les cadeaux de Communion. Là on offrait alors des chapelets, des bijoux. Plus tard c'était la bague de fiançailles que le "promis" venait faire choisir à sa "promise", certains, plus prévoyants que d'autres venaient quelques jours à l'avance (et seuls) pour préciser de quelle somme ils disposaient. Enfin ils achetaient les alliances. Ils mesuraient les dimensions de leurs doigts avec un "triboulet". Il n'est arrivé qu'une fois à ma connaissance qu'on achète à Lorris une alliance en platine.
Donc on préparait le mariage du "gars" avec sa "boelle", comme on disait dans le patois du pays, et c'est chez le bijoutier que la famille et les amis venaient acheter les cadeaux de valeur car mon père bénéficiait d'une réputation justifiée de commerçant consciencieux et honnête. On lui achetait des ménagères (fourchettes, cuillères, couteaux, petites cuillères, des pelles à tarte) des services à gâteaux, des services à liqueurs, des garnitures de cheminée en marbre, et même au début de la faïence de Gien. La vie suivait son cours par la naissance du premier bébé "le petit canouillat", comme on le disait alors. La marraine et le parrain qui comme par hasard s'était trouvés garçon et demoiselle d'honneur au mariage et qui s'était souvent fiancés dans l'intervalle offraient au nouveau-né, la timbale et le coquetier ou le couvert gravé au prénom du bébé. C'était souvent le grand-père qui venait payer la gravure. .. Il en profitait pour faire changer ses verres de lunettes.
Chapeaux
L’horloger n'était pas le seul à partager les grandes heures de Lorris, car sa femme tenait le magasin de mode.
On faisait alors les chapeaux, le plus souvent à partir d'un morceau de sparterie (genre de canevas en fibre végétale) que l'on taillait en trois morceaux : le fond, le tour de tête et le bord, et que l'on recouvrait de tissu. Pour les deuils c'était du crêpe noir, pour les élégantes on moulait à leur tour de tête des chapeaux de feutre. Deux ouvrières venaient chaque jour travailler à la maison.
Pendant la morte-saison, elles préparaient en tressant des rubans, les garnitures et les motifs d'ornement pour les chapeaux d'été. Le jour du mariage ma mère allait "coiffer la mariée" à domicile, c'est-à-dire, attacher avec des épingles le voile blanc après la couronne de fleur.
Photos
Le jour de la noce était mémorable. Cet événement mobilisait de nombreux invités et on le fixait sur la plaque (non pas sur la pellicule). Mon père s'était mis à la photo parce que son prédécesseur la faisait; c'était les débuts. En cas de mariage, l'horloger troquait sa blouse noire contre son beau costume et partait en vélo, quel que soit le temps, avec son trépied et tout son matériel pour photographier les mariés et le cortège à la sortie de l'une des églises des environs:
Noyer à 3 kms, Varennes à 12 kms. Ensuite, il développait, tirait, agrandissait les photos, après avoir fait les retouches nécessaires dans une chambre noire, Le plus souvent il y passait une partie de la nuit, ce qui ne l'empêchait pas le lendemain matin dès neuf heures de redevenir horloger.
C'était vraiment un travail d'homme-orchestre mais son prédécesseur faisait encore pire, car il était "violoneux" et accompagnait le cortège avec son "crincrin"
Lunettes
On n'avait pas l'habitude, comme de nos jours de consulter un ophtalmologiste, quand on avait la vue qui baissait. On se rendait, une fois encore, chez "Msieur l'Moine" en qui on avait une absolue confiance.
Les clients venaient quand ils pouvaient, - pendant les heures des repas et même le dimanche matin. Mais le seul jour où il y avait vraiment du monde, c'était le jeudi à cause de l'important marché aux volailles qui se tenait sous la halle, juste en face du magasin. Celui-ci chaussait le nez de son client d'une monture spéciale et il y posait des verres, puis il lui présentait un texte à lire. Quand le résultat était satisfaisant, il ne restait plus qu'à monter les verres sur une des montures choisies dans la vitrine.
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